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LE VAMPIRE RE'ACTIF, le blog culturel et littéraire de la maison d'édition Le Vampire Actif
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30 avril 2009

Jim Dodge "Stone Junction"

stone_junctionSTONE JUNCTION, une grande œuvrette alchimiste, de Jim DODGE

Le Cherche midi Collection lot 49,  préface de Thomas Pynchon, 560 pages 

Avertissement préalable : Cet ouvrage étrange et visionnaire, écrit par Jim DODGE en 1989 ne laisse pas indifférent et contient des ingrédients détonants à ne pas mettre dans toutes les têtes.

ATTENTION : Chef d’oeuvre

« Si nous partons du principe qu’utiliser le pouvoir contre ceux qui n’en ont pas est injuste, un ensemble assez clair de corollaires se profile. Nous sommes alors en mesure de distinguer, comme le fait habituellement le peuple (ce qui n’est pas toujours le cas de ses dirigeants), entre hors-la-loi et malfaiteurs, entre illégalisme et crime. Inutile de se lancer dans une étude très poussée, car c’est un phénomène que nous pouvons appréhender intuitivement dans toute son implacable immédiateté. « Mais ce sont des voyous », se lamentent les dirigeants avec indignation, « uniquement motivés par l’appât du gain ». Certes. Si ce n’est que, connaissant depuis belle lurette la différence entre vol et redistribution des richesses, nous jugeons acceptable que les hors-la-loi - en tant qu’agents des pauvres, dans la mesure où ils sont plus qualifiés et s’y connaissent mieux dans l’art du réajustement karmique – prennent seulement une commission, une somme assez modeste pour être considérée comme correcte par leurs clients, mais assez conséquente pour  couvrir les risque encourus. Et nous finissons toujours par les adorer, ces bougres, nous acclamons John Dillinger, Rob Roy, Jesse James, à un degré de passion habituellement réservé à la sphère sportive.
Stone Junction est une épopée illégaliste pour notre époque de sentimentalité corrompue et d’honneur dégradé, avec son cortège d’usurpateurs sordides et de persévérances jacobitesques… »

Telles sont les premières phrases de la préface de Stone Junction, que nous devons à Thomas Pynchon, concitoyen de Jim DODGE,  auteur « invisible » de romans désespérément lucides, baroques, dénonçant l’injustice, la guerre, la violence de la société normative, la cruauté  (A lire de toute urgence, pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, les 3 « V » de Pynchon : V. ; Vente à la criée du lot 49 (d’où le titre de l’admirable collection du Cherche midi, que du bonheur !) ; Vinland,…).

Stone Junction est un grand roman initiatique qui met lui-même en garde le lecteur dès la première page « Ce livre est une œuvre de FICTION. Pensez le contraire à vos risques et périls ».

Il est construit en quatre grands chapitres portant pour titres les noms des quatre éléments, accompagnés de citations étranges :

L’AIR, « Unam est vas » Maria Prophetissa ;

La TERRE, « La terre dans sa hâte à générer, produit toujours quelque chose ; vous imaginerez voir des oiseaux, des bêtes ou des reptiles dans le verre ». Philalèthes ;

L’EAU, « Chaos sensible » Novalis ; « Lorsqu’elle n’est pas contrainte, l’eau recherche par nature une forme sphérique. D’où les méandres des rivières. Schwenk ;

Le FEU, « Trouble double et malheur brouille, Brûle le feu et le chaudron bouille. » Shakespeare, Macbeth, acte IV, scène première.

Le ton est donné !

Daniel Pearse, le « héros », perd sa mère, Annalee, dans une explosion en pleine ruelle de Livermore, en Californie, alors qu’il a quatorze ans.

« Il était en train  de se retourner pour scruter la ruelle lorsqu’il entendit Annalee s’écrier : « Daniel ! Sauve-toi ! » et la bombe explosa, projetant la voiture à cinq mètres, sur le flanc, lui fichant un éclat de métal dans la tempe droite. Il sorti de la voiture en chancelant, s’effondra sur la chaussée humide. Il secoua la tête, se redressa en poussant sur ses mains, rampa en direction de la ruelle, et s’effondra à nouveau. Il resta allongé, tandis que du sang et la pluie lui coulaient dans les yeux. Il tâcha de cligner pour y voir clair, mais ses yeux restèrent clos. Au loin sous lui, il aperçut un minuscule point lumineux. Il se mit à glisser dans cette direction, tâchant, en vain, de rassembler ses forces. Tandis qu’il plongeait, la lumière crût lentement, jusqu’à  briller d’un tel éclat qu’il en fut ébloui. Daniel tombait et s’enfonçait jusqu’au soleil… ».

Son existence bascule alors, lorsqu’il est pris en charge par l’AMO, l’Alliance des magiciens et outlaws. Ses membres vont l’initier, à tour de rôle, transmettant à cet apprenti curieux leurs connaissances pour le moins singulières.

Wild Bill Weber lui enseigne la méditation, le contrôle de soi, l’attente et la patience qu’il expérimente…à la pêche. « La méditation du matin c’est pour remplir ton esprit ; la méditation du soir, c’est pour voir de quoi il est rempli, et la méditation du rêve, c’est pour le vider. Tu vas comprendre immédiatement que remplir, voir et vider, c’est la même chose, mais garde à l’esprit qu’elles ne pourraient pas être identiques si elles n’étaient pas différentes. Par conséquent, il ne s’agit pas tant de se concentrer sur un objectif que de se concentrer à travers l’objectif… ».

Mott Stocker, spécialiste des stupéfiants et des cocktails détonants, l’initie aux drogues, à la dope, à leurs joies et à leurs pouvoirs. « Ils se trouvaient dans la pièce principale de Mott. La décoration de l’intérieur trapézoïdal consistait en crânes d’animaux suspendus au plafond à l’aide de délicats fils électriques dorés. Mott exerça une violente secousse sur un crâne de glouton, et Daniel entendit un loquet s’ouvrir derrière lui. Intrigué, il regarda Mott soulever un panneau d’un mètre vingt sur deux mètres quarante, qui révéla une remise aux étagères chargées d’armes à feu, de munitions, de grenades et de bocaux de seize litres remplis d’un liquide aux reflets verdâtres. (…) « Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda Daniel. Mott ouvrit le bocal et l’inclina pour en savourer l’arôme. (…) « C’est du pur extrait de feuilles de coca, de boutons de peyotl, et de têtes de pavot ; ».

Willis Clinton (le nom nous dit quelque chose, non ?) à qui aucune serrure ne résiste, en fera un redoutable perceur de coffre-fort et crocheteur de serrure, ainsi qu’un fin connaisseur de la neutralisation des alarmes. « Willie Rebis Clinton était le plus grand crocheteur de coffres à l’ouest des Rocheuses. Willie the Clic, comme l’appelaient ses acolytes, était capable de percer ou de faire sauter n’importe quelle serrure jamais conçue. Cependant, comme il le faisait sempiternellement et vigoureusement remarquer, la plus haute expression de l’art du braqueur de coffre était d’ouvrir des serrures à combinaison uniquement au toucher, en devenant le cylindre, la gorge de serrure et les goupilles, en disparaissant à travers la pointe des doigts pour devenir sensation pure. (…) L’état optimal de l’être était le toucher. Dans ses laïus les plus délirants, Willie prétendait que l’industrialisation était un complot chrétien visant à briser la jonction païenne entre sensation et émotion. »

Jean Bluer, transformiste génial, lui apprendra à se métamorphoser, à n’apparaître plus lui-même. « Comme Jean Bluer n’était jamais entièrement lui-même, toute description ne pouvait être que provisoire ; ses yeux étaient le plus souvent bleus, mais grâce au recours habile à des lentilles et à l’application de gouttes spéciales qu’il préparait lui-même, il y avait peut-être une vingtaine de nuances de noisette, de brun ou de gris. La couleur, la longueur et la coupe de ses cheveux étaient fonction du postiche choisi ce jour-là, de même que son nez et ses oreilles dépendaient du mastic et du maquillage qui leur donnaient forme. (…) Jean pouvait se faire passer pour n’importe quel adulte appartenant à vingt-neuf cultures différentes. »

Volta, le « maître », complexe, ex-prodige de la voltige, alchimiste et magicien, lui enseignera le pouvoir de purement et simplement disparaître, non pas en utilisant les propriétés de la réfraction de la lumière ou une pigmentation spécifique, mais bien l’art de cesser d’être matériel. « En ce qui concerne ma méthode pédagogique, (…), je suis un praticien de l’école socratique kamikase, avec une forte prédominance sadienne. (…). Je vais droit au but et je n’ai pas peur de (te) faire souffrir. Je construis le radeau. Tu descends la rivière. Je dessine la carte. Tu fais le voyage.  Voilà comment moi, j’ai expérimenté la transformation de la matière en énergie électromagnétique. Cela commence par un passage à vide. Un blanc. Rien. Pour moi, ça a été exactement comme si le temps s’était arrêté. Et je pense que c’est exactement ce qui se passe, car tu échappes à sa force, non pas en le transcendant ou en l’oblitérant, mais en trouvant un point d’immobilité en son sein, comme une truite trouve le point d’équilibre hydraulique, dans le courant, derrière le rocher. ».

Daniel vivra également, dans le cours de son initiation, un road movie avec l’as du poker, Bad Bobby, jusqu’à la confrontation finale, lors d’une mémorable partie de Lowball, avec un personnage haut en couleur, l’interlope Caramba ! « J’ai fait un marché avec l’océan quand j’étais un petit blanc-bec tout maigrichon, sans famille, sans parents, sans rien. J’avais tant bien que mal réussi à descendre jusqu’au Golfe après avoir entendu parler de l’océan, mais je ne l’avais encore jamais vu ; et j’avais rudement envie de le voir. Je suis resté bouche bée à regarder l’immensité qui s’étendait à perte de vue, et j’ai dit d’une seule traite : « Océan je te propose un marché. Tu ne me fais pas chier, et je ne te fais pas chier. » . « C’est un marché qui parait correct, dit Daniel. »

Mais quelles sont les raisons d’un tel apprentissage soigné, d’une telle préparation ? Pour quelles fins Volta et l’AMO ont-t-ils choisi d’enseigner à Daniel de telles savoirs ? Pour la quête du Graal, de la pierre philosophale, du Diamant de 6 livres qui recèle en lui, peut-être, le Mystère de l’Univers.

C’est alors cette quête, truffée d’épreuves, que Jim Dodge nous invite à suivre dans la seconde partie (200 pages environ) de cet ouvrage. Pour la réaliser, Daniel utilisera à bon escient les pouvoirs qu’il a patiemment acquis et qui lui serviront à affronter le FBI et bon nombre de personnes.

Jim Dodge, n’oublie pas de nous interroger sur les deux énigmes que sont d’une part l’identité et les raisons de l’assassinat de la mère de Daniel, d’autre part la justification du choix de Daniel par l’AMO pour mener à bien cette mission impossible. A ces deux questionnements, Jim Dodge apportera une réponse à la fin de l’ouvrage. Cette résolution de l’intrigue sera révélée à Daniel après qu’il aura été « absorbé » par le pouvoir du Diamant et se sera confronté à la « Vérité ».

Y croyons-nous ? Peu importe en fait, tant le roman est captivant.

Cette aventure hallucinée, qui tient de la Beat Génération, de l’épopée antique, du roman d’apprentissage, du conte initiatique, propose le thème du cheminement intérieur, de la quête de la vérité et de l’idéal, en dehors du destin personnel et des normes culturelles et sociales. Daniel va se trouver confronter à divers domaines du monde « underground » avant que d’affronter différents moments intenses lors de sa mission.

Ce roman aux accents libertaires, constitue un extraordinaire appel à la résistance aux diktats de la société, une ode à l’imagination, et un hymne à la liberté individuelle et à la libre détermination des individus.

« L’esprit est un sol de verre.

L’esprit est la larme mentale.

L’esprit est le fantôme qui nous précède et nous succède.

L’esprit est le Lingot Express et le sang sur la voie.

L’esprit est une porte de pierre.

L’argent à l’arrière des miroirs.

La vague qui définit la côte.

Ce que les pilleurs de tombes ivres n’ont pu fourrer dans leurs sacs.

L’esprit est la somme de tout et plus.

Le spasme entre un et zéro dans le calendrier des Années du Trou Noir.

Le contrat passé entre le coup de fouet et le poteau du condamné.

Une insignifiante dispute entre putes.

La pluie qui continue de tomber quand le ciel s’éclaircit.

Un bal masqué, invité et hôte.

Un paysage de cire fondue éclairé à la bougie.

L’esprit est le pourquoi de la pensée.

Le parking du Centre commercial des Peurs.

Le foyer où rôtit le cochon.

Ce que l’âme a rendu et ne veux pas reprendre.

L’esprit est ni ni ni ni.

Le véritable centre d’une sphère vide. »

L’originalité de ce roman est totale. Outre l’histoire, le cadre, le scénario, cette originalité réside également dans l’épaisseur et la profondeur de tous les personnages qui constituent chacun autant de héros généreux et attachants de cette narration sombre et lumineuse à la fois. Parmi ceux-ci, on notera la présence de Willy Lune, le Johnny Sept-Lunes du court roman de Jim Dodge intitulé « L’oiseau Canadèche », qui tient « simplement un endroit pour se reposer ».

Ce roman est également une virulente dénonciation des risques liés à l’informatique, au codage et au contrôle de chacun, avec des accents des meilleurs romans visionnaires.

« L’esprit est une pleine lune se levant sous une chaude pluie de printemps. Daniel se sentait léger, léger, de plus en plus léger, malgré la pluie qui détrempait sa chemise et son pantalon en daim, malgré le Diamant dans son sac, qui semblait s’alourdir d’une once tous les quarts d’heure, léger, de plus en plus léger, jusqu’à se dire qu’il allait peut-être réellement pouvoir s’élever jusqu’à la lune.»


Desmodus
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