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LE VAMPIRE RE'ACTIF, le blog culturel et littéraire de la maison d'édition Le Vampire Actif
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17 novembre 2008

"Gombrowiczshow"

gombrowiczshow2Si, selon Gombrowicz, « être un homme, c’est simuler l’homme », il y en a qui sont plus hommes que d’autres : ce sont les comédiens. Pour les amateurs d’humanité, il faut donc absolument aller voir s’éclater sur scène ceux du Gombrowiczshow. Ce grand spectacle baroque a été créé le 5 novembre dernier aux Subsistances de Lyon et sera joué au Théâtre National de Chaillot à partir du 20 novembre par toute une équipe de dingues (la compagnie ZEREP).

Je dois dire que je suis un fan absolu de Witold Gombrowicz, et surtout de son roman Ferdydurke (une des deux rencontres littéraires qui m’ont converti en lecteur). C’est à peu près la seule étiquette de fan à laquelle j’aspire, si bien qu’un jour, alors que je passais par Vence, je suis allé devant la tombe de Witold Gombrowicz. Ce jour-là, le fantôme de Witold devait bien rire en me voyant prendre la pose solennelle du recueillement (pose qu’il fallait que j’accentue un minimum pour que ça n’ait pas l’air tout à fait vrai...). Je redoutais donc un peu le traitement qu’allaient faire subir à mon adoré Sophie Perez et Xavier Boussiron, les auteurs du spectacle. Je savais que ceux-ci s’étaient largement inspirés des Envoûtés, le roman gothique à épisodes de Gombrowicz, auquel l’écrivain polonais ne concède même pas quelques lignes dans son vaste Journal, une œuvre qui longtemps a eu la réputation d’être mal-aimée de son auteur. Mais le Gombrowiczshow n’est pas la transcription sur scène des Envoûtés, ce n’est d’ailleurs pas une adaptation de Gombrowicz, mais un méli-mélo original et drôle, flamboyant, entêtant, qui se joue de la forme du roman, du théâtre et, au final, de la vie elle-même. Un spectacle qui n'a aucun scrupule à faire exploser la forme gombrowiczienne pour mieux rendre palpable les obsessions de Gombrowicz. (Concédons qu’il puisse s’agir d’un hommage, mais un hommage assumé qui va au-delà de l’hommage lui-même puisqu’il actualise les obsessions de Gombrowicz dans un spectacle qu’il aurait à coup sûr adoré, j’en fais le pari).

Le show est une succession de saynètes sur laquelle plane l’ombre de l’auteur de Ferdydurke, une succession de saynètes annoncées par une ouverture de cabaret, une grande parade de cirque haute en couleur. Mais la fluidité de la mise en scène, la variété des choix musicaux, l’énergie des comédiens, sont telles qu’elles lient toutes les saynètes en une grande épopée baroque qui est comme une tentative tragico-absurde pour se défaire de la Forme (ce qui colle aux hommes, même quand ils nourrissent le projet d’échapper à tous les moules) en utilisant paradoxalement le maximum d’accessoires et de masques : lunettes noires, capes, masques de carnaval, de gorilles, de monstres, etc... Les masques foisonnent, adhèrent et glissent tour à tour du visage des comédiens avec, pour ultime déclinaison, la nudité elle-même.

Cette épopée feuilletonesque et déjantée est servie par des comédiens élastiques comme si les costumes n’étaient là que pour dompter un corps qui aspire à échapper à la forme et à acquérir une liberté totale (liberté que l’homme trouve parfois dans l’art avant qu’elle ne soit tuée par le second service des épigones). Dans le cabaret-zoo du Gombrowiczshow, vous verrez : des princes sans descendance, des lectrices irrévérencieuses qui dévorent les livres au sens buccal du terme, des intellectuels hallucinés, des tueurs d’écureuils, un moineau géant, des monstres sages-femmes, Jacques Chancel interviewant des écrivains célèbres (dont Gombrowicz lui-même)… et, dans le rôle du spectateur, un spectateur pris au hasard dans la salle et qui reste assis pendant une bonne moitié du spectacle dans l’anfractuosité d’une montagne, prisonnier de sa forme propre de spectateur.

Montagne ? J’ai dit montagne ? Une montagne rocailleuse s’élève au centre de la scène, elle en occupe les trois quarts. Les comédiens l’escaladent, la contournent, ils apparaissent et disparaissent parfois dans ses crevasses. Dans le spectacle, c’est la seule représentation de l’informe, cet insculpté par l’homme, toujours attiré par les statues.

Silence enfin. La fin du spectacle laisse entendre la voix de Rita Gombrowicz, femme de, qui fait le récit des derniers jours de la vie de Witold. C’est prenant, émouvant, jusqu’à ce que…

David Gray

Commentaires
F
Une vidéo réalisée à Angers pour revoir des extraits : http://www.lequai.tv/fr/bdd/video_id/206
I
Très cher David,<br /> <br /> A vous lire, on comprend que ce "Gombrowiczshow" que vous évoquez est un spectacle d’une très grande générosité et je partage votre avis, sans conteste. On en a pour nos yeux, nos oreilles, on se met à hurler de rire sans qu’on l’on s’en aperçoive ; comme si cette hilarité soudaine n’était plus du tout sous notre contrôle. Rien que pour cela, on aurait bien envie de retourner voir la performance! Ce rire qui s’échappe, qui ne souffre aucune retenue quand bien même on souhaiterait le maîtriser s’est souvent manifesté chez moi également à la lecture de "Ferdydurke" (un véritable chef-d’œuvre dont je vous dois la découverte), du recueil de nouvelles "Bakakaï" et des "Envoûtés" dont s’inspire le spectacle sans en être comme vous le dites, cher ami, une adaptation. On retrouve certes des éléments, des personnages du récit mais que l'on fait sortir de leur forme romanesque, ce qui est forcément pertinent ici !<br /> Représentation généreuse disé-je parce que le spectateur n’est pas pris pour un ignare : ce dont j’avais un peu peur, en ce qui me concerne ; ne connaissant pas beaucoup l’œuvre gombrowiczienne, je redoutais de me trouver face à une exhibition hermétique à laquelle seuls les thuriféraires de l’écrivain polonais trouveraient du plaisir et de l’intérêt. Point du tout, au contraire. Les auteurs du spectacle livrent – avant et après le lever du rideau sur lequel figurent une tête de mort jonchée sur une tarte à la crème et des caractères gothiques reprenant le titre du show – un objet théâtral des plus intelligents mêlant entre autres : gymnastique, chant, danse, escalade fesses à l’air, musique, cris et borborygmes, soupe à la patate très épaisse, concours de "gueules" ahurissants et donnent une seule envie aux spectateurs : celle de se précipiter sur les écrits de Witold Gombrowicz, histoire de retrouver toute cette folie furieuse au travail qui nous parle de la nécessité vitale de mettre un grand coup de pied dans les carcans, les étiquettes qui enferment l'individu.<br /> Juste une petite précision avant de terminer : si effectivement "Les Envoûtés" a constitué un texte qu'a longtemps renié son auteur, "à la fin de sa vie, il en parlait à ses amis pour finalement le revendiquer (sans l'avoir jamais relu) dans sa biographie dictée quelques jours avant sa mort, en juillet 1969, et destinée au "Cahier Gombrowicz" que Dominique le Roux préparait aux éditions de l'Herne" dixit Rita, femme de, dans la présentation du roman chez Folio (n° 3325). Je ne peux que vous inciter à vous plonger dans ce drôle d'objet littéraire qui se joue de la forme du récit fantastique, qui installe au cœur de l'intrigue des parties de tennis et un vieux torchon loqueteux, crasseux et tremblotant qui fiche la trouille à tous ceux qui approchent la Vieille Cuisine où il est pendu... Une pièce qui se trouve inévitablement dans un château forcément habité par un prince barjo maniaque du rangement!...<br /> <br /> Au plaisir de vous lire,<br /> Chaleureusement,<br /> <br /> Irma Vep, démoniaque vampiresse (formule gombrowiczienne trouvée dans le texte "Les Envoûtés" et qualifiant l'improbable nièce d'un improbable rentier dont l'une des principales préoccupations quotidiennes est de faire péter les plombs à cette dernière…;-))
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