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LE VAMPIRE RE'ACTIF, le blog culturel et littéraire de la maison d'édition Le Vampire Actif
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11 octobre 2008

Eloge de la lenteur de Carl Honoré

9782501044875_GEn son temps, "Le droit à la paresse" avait fait scandale... En réaction contre la dictature de l'activisme, cet "amour et cette passion moribonde du travail qu'embrassent les classes ouvrières des nations où règne le capitalisme"et " qui les poussent jusqu'à l'épuisement", Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, faisait une analyse au vitriol du rapport entre le travail et le capital ainsi que des profondes inégalités sociales de cette fin du XIXème siècle (l'actualité de cet ouvrage, disponible en collection de poche et qui mérite d' être lu ou relu, est étonnante). Prenons en simplement pour preuve cette citation éclairante: «Le grand problème de la production capitaliste n'est plus de trouver des producteurs et de décupler leurs forces mais de découvrir des consommateurs, d'exciter leurs appétits et de leurs créer des besoins factices.»

Avec un titre dans la veine du précédent, "l'Eloge de la lenteur" du journaliste canadien Carl Honoré, publié en français chez Marabout, est un cri d'alerte autant qu'un manifeste contre la rapidité, cette valeur omniprésente qui nous anime à chaque seconde.

La vitesse d'exécution et la rapidité de réalisation ne sont-elles pas au final les deux objectifs majeurs de ce que l'on appelle le progrès. La culture de la vitesse, car il s'agit bien de cela, nous amène à chaque instant à courir contre la montre, contre le temps, comme s'il était notre pire ennemi: faire pour faire, toujours plus vite, pour pouvoir faire toujours plus et encore autre chose après, consommer toujours plus de morceaux d'existences, de parts de temps, de bouts d'activités, de portions de choses, de parcelles d'instants, sans se poser, sans prendre le temps de regarder, de sentir, d'entendre, de voir, de goûter, de savourer, de respirer, de "fare niente", d'aimer, de contempler, d'être... . Rien n'échappe à cette frénésie , tout y est contraint, tout y est normé, le travail, la vie privée, les repas, les relations, la vie sexuelle, le repos même... Tout ce qui nous ralentit, hommes ou choses, nous agresse, devient un obstacle à notre cheminement, un ennemi même, à écarter, à neutraliser, à anéantir... Cette folie est fortement encouragée par notre société de consommation qui a intérêt à ce que nous sautions d'une envie suscitée à une autre excitée, d'une activité marchande à une autre payante, d'un achat "publicisé" à un autre "marketé".

Mais tout ceci n'a dans le fond aucun sens... Quelques mouvements philosophiques ou spirituels dénoncent ce mode d'existence qui est une non-vie. Aucune profondeur, aucune réflexion, aucun recul, aucune construction personnelle réfléchie ne sont possibles dans cette course. N'est-ce pas ce qui est d'ailleurs souhaité par certains pouvoirs assis qui ne supportent pas que l'individu puisse s'interroger et par certains lobbies trop heureux de pouvoir satisfaire les envies renouvelées qu'ils suscitent eux-mêmes?

Pourtant tout un courant d'opinion baptisé par certains de l'anglicisme "Slow" commence à émerger, qui affirme les vertus d'une certaine lenteur. Serions-nous à l'aube d'une révolution? Sans doute pas puisqu'il s'agit moins de tout arrêter ou d'avancer à la vitesse de l'escargot  que de tenter de trouver un "juste" équilibre entre vitesse et lenteur.  L'enquête conduite par Carl Honoré identifie les initiatives, somme toute nombreuses qui, à travers le monde, inaugurent cette nouvelle attitude (pas si nouvelle que cela si l'on veut bien considérer certains mouvements contestataires de la deuxième moitié du XXème siècle, voire le refus des premiers romantiques face à la déshumanisation liée à la société industrielle naissante) et tendent chacune à apporter, un peu plus de richesses spirituelles, versus les accumulations matérielles et un peu plus de productions personnelles, versus les consommations de "tout faits" et de "tout prêts".

Que les tenants du consumérisme se rassurent: le système est bien là qui veille déjà à récupérer le mouvement et à marchandiser ces instants de parenthèses!... Nous n'en sommes pas encore à la négation de la propriété au profit de la proclamation de la valeur de l'usage!... Cependant, peut-être pouvons-nous identifier dans ces comportements un des "signes faibles" d'un changement plus profond du regard porté par les citoyens sur les paradigmes artificiels de nos systèmes économiques "à bout de souffle" (c'est ce qui arrive quand on court à perdre haleine!), que nous savons aujourd'hui non durables, mais quand même bien décidés à retomber sur leurs pattes...

Desmodus 1er

Commentaires
I
Cher Edwood,<br /> <br /> Tout le mérite revient à Desmodus1, un autre vampire de notre cercle (que nous attendions avec impatience!) qui a signé cet article. En ces temps de frénésie où l'on court après tout et n'importe quoi, où chaque seconde doit être rentabilisée au maximum, l'ouvrage dont nous parle notre ami est un beau pied-de-nez aux aficionados de la performance que nos sociétés occidentales ont un peu trop tendance à ériger en seuls modèles de réussite...<br /> <br /> Merci pour votre commentaire. A très bientôt dans nos pages!<br /> <br /> Irma Vep
E
Bonjour Irma,<br /> <br /> Tout d'abord, encore bravo pour cet article passionnant.<br /> <br /> Un livre qui invite à la réflexion sur le rythme de notre monde ne peut que m'attirer.<br /> La société dans laquelle nous évoluons valorise les chiffres à un tel point qu'elle en oublie les sentiments profonds qui nous distinguent, individuellement, de toutes les espèces vivantes de la Terre. La vitesse terrorise la sentimentalité. La plupart des activités contemplatives prépondérantes il n'y a pas si longtemps, perdent du terrain ou sont dévalorisées dans le coeur des gens.<br /> <br /> Pour illustrer ma pensée, je ne saurais trouver meilleure citation que celle de Milan Kundera dans son roman La Lenteur. Une oeuvre qui est aussi une éloge de la lenteur à sa façon à travers un parallèle éloquent entre, d'un côté,une aventure amoureuse au XVIIIème siècle, et de l'autre, les strass du XXème.<br /> Je laisse la place à Kundera...<br /> "Il existe un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli...notre époque est obsédée par le désir d'oublier, et c'est pour réaliser ce désir qu'elle se livre au démon de la vitesse; si elle accélère le pas, c'est pour nous faire comprendre que, désormais, elle n'aspire plus à ce qu'on se souvienne d'elle; qu'elle est fatiguée, voire dégoûtée, d'elle-même; qu'elle souhaite éteindre la petite flamme fragile de la mémoire".
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