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LE VAMPIRE RE'ACTIF, le blog culturel et littéraire de la maison d'édition Le Vampire Actif
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1 août 2008

Our Body : quelques pensées inspirées par l'article d'Irma Vep

our_bodyChère Mademoiselle Irma,

Cette « belle supercherie » vous aura fait écrire un de vos meilleurs textes. Je suis d’accord avec vous : l’exposition « Our Body », dans le pathos avec laquelle elle a été distribuée, présentée, suscité la polémique, n’a su qu’enrober une expo de cadavres dans un discours et une mise en scène esthétisants et sacralisants. Je vous trouve néanmoins inexacte quand vous écartez vigoureusement le côté pédagogique de la chose. Que l’intention pédagogique ait été avancée pour masquer l’intention de rentabilité financière n’exclut pas le fait que l’exposition reste valable comme première approche anatomique. Beaucoup de gens se font une idée inexacte des mécanismes et des fonctions primaires du corps – croyez-moi, c’est un presque biologiste qui vous parle, et qui relève de nombreuses coquilles dans le discours de ceux qui l’entourent et des journalistes, dès qu’il s’agit d’expliquer un phénomène physiologique. Question : mieux vaut-il ignorer comment ça marche, au risque d’être en proie à d’autres illusions comme projeter dans le corps un esprit, un démon, un chaman ? C’est bien toute l’ambiguïté de l’affaire : il faut, depuis Hippocrate, considérer le corps comme réseau de flux, de câbles, ce qu’il est – aussi – pour soigner, pour guérir (« considérer » et non pas « assimiler » le corps à une machine. Entre les deux termes, il y a tout le décalage de l’imagination au travail.) Le chirurgien (et je ne parle pas de ces spécialistes actuellement très recherchés pour leur compétence en chirurgie plastique) agit avant tout sur des paramètres tels que la pression, le volume, ou d’autres paramètres physicochimiques. Le corps comme solide, c’est une donnée intangible avec laquelle il faut composer. N’avez-vous jamais pensé que c’est peut-être parce que la personne qu’il opère n’a pour lui aucune identité propre que le chirurgien peut non seulement agir sur un corps mais aussi agir avec équité ? (De là peut-être les nombreux fantasmes autour des chirurgiens, dont seuls quelques rares spécimens ont viré « bourreaux » parce que d’autres pervers non médecins ont su leur en laisser le pouvoir.) Cette gymnastique de l’esprit, qui fait qu’on est dans certaines situations amené à envisager le corps sous l’angle de la physique, d’autres fois de la morale, génère le malaise car elle montre que notre pensée est un phénomène discontinu auquel on ne peut faire confiance pour porter haut notre identité propre. Si je suis capable de considérer à midi un corps (de préférence celui d’un inconnu) comme un objet, et à 16h un autre corps (mettons celui d’un ami) comme une personne, qui suis-je ? Et pourtant, dans le continuum de la pensée, probablement faire confiance à cette basse continue qui bourdonne : ce corps qui me fait face, ce pourrait être moi.

Bien à vous,

David Gray

Commentaires
W
Et c'est comme ça qu'on devrait le traiter. Les gens font des choses avec leurs corps qu'on n'oserait faire à un ordinateur ou a une voiture. Le corps supporte bien plus que ceux-ci, mais ça ne sert pas d'excuse pourq'on le sacralise pour certaines choses et le polue avec d'autres.
D
Je n'ai rien à redire à votre commentaire qui vient du coeur (et vous savez maintenant à quoi ressemble un coeur). Vous n'êtes pas si provocante que cela, il me semblait l'avoir été plus que vous ;-)Je vais tout à fait dans votre sens, mais je veux cependant réaffirmer ceci:<br /> <br /> Pourquoi est-on à ce point effrayé par l'idée de réduire un corps à ce qu'il est malgré tout : une mécanique (sans effet esthétisant)? Vous répondez à cette question par une autre question : Car alors, qu'est-ce qui nous empêche d'en disposer comme on veut ? Or, je croyais avoir répondu à cette question à la toute fin de mon article : ce qui m'empêche de disposer du corps de l'autre comme n'importe quel objet, c'est la peur d'être considéré, moi-même, comme un objet mécanique sans identité propre.<br /> <br /> Se projeter en l'autre... Si peu de chose nous protège contre le fait d'être considéré comme corps mécanique qu'on se demande parfois comment la barrière vers l'horreur n'est pas plus souvent franchie (même si elle l'est déjà trop). A partir de là pourtant, il me semble que s'ouvre le chemin vers l'autre...<br /> <br /> J'irai moi-aussi de mon petit aphorisme de Cioran, pris dans "De l'inconvénient d'être né" : <br /> "La seule façon de rejoindre autrui en profondeur est d'aller vers ce qu'il y a de plus profond en soi-même. En d'autres termes, de suivre le chemin inverse de celui que prennent les esprits dits "généreux"."<br /> <br /> Ces esprits dits "généreux", ce sont peut-être ceux qui veulent à tout pris nous délivrer de la mort et orner l'être de je ne sais quel artifice.<br /> <br /> Quant à "aller vers ce qu'il y a de plus profond en soi-même", c'est se retrouver face à ses peurs les plus primales et s'y retrouver en même temps que nos semblables.<br /> <br /> Le chemin est encore long et tortueux ;-)<br /> <br /> David Gray
I
Très cher David,<br /> <br /> J’entends tout à fait vos arguments et partage votre avis lorsque vous évoquez la nécessaire froideur clinique à laquelle ont recours les chirurgiens face aux corps qu’ils réparent. Cependant je me garderai d’utiliser les verbes "soigner" et "guérir" qui, selon moi, évoquent des processus très complexes liés à tout autre chose que la simple réfection ou remise en état de pièces mécaniques. Que faites-vous de l’empathie dont a besoin le malade qui souffre pour l’amener à la rémission ? Ne faut-il pas à un moment donné que le soignant (qu’il soit médecin, chirurgien...) prenne en compte le psychisme de l’homme qu’il a entre les mains ? Si l’on reste enfermé dans la seule vision mécanique du corps, on peut aussi se demander s’il est possible, en même temps, de ressentir cette empathie dont je parlais plus haut. Peut-on compatir aux souffrances d’un ensemble que l’on perçoit comme une machine ? Si l’on relit certains textes de Philip K. Dick ("Les Androïdes rêvent-ils de moutons mécaniques?", par exemple, que Ridley Scott a si magnifiquement adapté au cinéma sous le titre plus connu de "Blade Runner")on pourrait répondre par la positive…sauf que cette empathie est justement déclenchée par le fait que les machines ont acquis, assimilé, toute une dimension psychologique, spirituelle qu’elles détiennent des humains… On ne s'en sort pas!<br /> <br /> Je reviens à "Our Body". Les personnes qui viennent voir ces corps à La Sucrière ne sont tout de même pas tous médecins ou biologistes et il y a quelque chose qui m’inquiète dans le fait que l’on nous dit dans cette expo (je me répète!) que le corps de l’autre n’est qu’une merveilleuse machine que l’on peut regarder même tronçonnée sans que l’on s’en émeuve plus que cela. A aucun moment le visiteur n’est invité à prendre un minimum de recul par rapport à ce postulat. Alors oui, certains le feront naturellement, d’autres moins, certains pas du tout. Il suffit d’aller se balader sur les nombreux forums qui se sont ouverts sur le net depuis que cette exposition s’est installée à Lyon, pour constater que les réactions enthousiastes sont légion.<br /> <br /> Pour terminer, je vais pousser la provocation un peu plus loin : si le corps de l’autre qui m’est inconnu n’est qu’un mécanisme, qu’est-ce qui m’empêche d’en disposer comme je veux, de ne plus le respecter ?<br /> Une autre réflexion me vient en tête tout à coup. Entre finalement ce que l’on nous dit/montre dans cette exhibition (je vous accorde, David que j’ai eu la canine un peu trop virulente concernant les apports pédagogiques de celle-ci…ils sont réels pour quelqu’un qui n’y connaît absolument rien, c’est vrai) et la pornographie chic ordinaire (celle qui s’affiche par exemple sur les panneaux publicitaires) il n’y a pas de grand fossé, dans le sens où le corps est montré comme un objet avec lequel on peut jouer et qui ne doit s’offrir à moi que pour répondre à mon propre plaisir/désir,que pour me valoriser…(N’oublions pas toutes ces réactions admiratives sur le travail de dissection minutieuse accompli par les anatomistes qui ont préparé les corps de l’exposition…)<br /> <br /> Dans l’attente de retrouver l’énergie que j’apprécie tant dans vos billets,<br /> Votre tout aussi dévouée amie,<br /> <br /> Irma Vep
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