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LE VAMPIRE RE'ACTIF, le blog culturel et littéraire de la maison d'édition Le Vampire Actif
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16 février 2008

La Flèche du Temps

la_fleche_du_tempsFatalité littéraire ! Un honnête narrateur du XXème siècle se retrouve dans la peau d’un médecin nazi et revit sa vie à l’envers. Tel est le propos du livre vertigineux de Martin Amis.

Pour éviter de rester K.O. devant ce livre étourdissant, je vous propose deux grilles de lecture qui n’ont qu’une intention : montrer à quel point le livre d’Amis, bien plus qu’un exercice littéraire, fait sentir et comprendre autrement la petite et la grande Histoire humaine, qui tendent à être gangrenées par l’habitude et le consensus moral.

A lire avant ou après le livre… selon le sens du temps !

1 - En choisissant de raconter l’histoire d’un médecin nazi de sa mort à sa naissance, Martin Amis devient le démiurge d’un démiurge. Dans ce temps inversé, les guérisseurs sont suspects, les médecins détraquent les corps, les criminels fabriquent des vivants à partir de cadavres. Le miracle de la vie ? Bénis soient la merde et les ordures, le terreau de l’humanité ! Mais comme tout naît de la poussière et redevient poussière, quel que soit le sens du temps, son inversion agit comme une loupe déformante. Sauf que… sauf que… il y a la Shoah, ce gros truc impensable. Et quand les nazis deviennent des Frankenstein, le narrateur, d’abord perplexe, se prend pour un dieu créateur. On le lui pardonnerait presque. L’euphorie irrationnelle de celui qui croit créer (le narrateur) est toujours plus facile à comprendre que l’euphorie de celui qui extermine sciemment (le bourreau nazi). Question d’affinité morale… Mais un événement gît au fond de nos mémoires : Shoah. Trop lourd pour faire ployer le temps dans l’autre sens. Shoah. Impossible de pardonner, même aux narrateurs candides. L’inversion du temps inverse les résultats, mais la cause demeure. Créer ? Anéantir? Et si le mal et le bien ne surgissaient que d’un seul et même rêve humain : avoir l’absolue puissance, être dieu peut-être, et en chercher partout la preuve - dans les yeux d’une victime qu’on torture ou dans la gratitude d’un patient qu’on a guéri…

2 – C’est bien connu : la vie est une histoire pleine de bruit et de fureur racontée par un idiot. Si le narrateur de ce livre donne parfois le sentiment d’être un idiot, ce n’est pas qu’il soit atteint de débilité mentale, mais c’est parce qu’il lui manque deux séries de données. Déjà, il n’a pas accès aux pensées et aux émotions du personnage dont il est l’otage littéraire : un médecin nazi. Il est embarqué dans son histoire, témoin de sa vie à rebours. A rebours. Voilà l’autre donnée qui lui manque. Le narrateur est un esprit bâtard : il n’est pas privé de la faculté de comprendre, il connaît la loi de la cause et de l’effet, il observe et déduit tout de ce qu’il voit par l’œil de ce « compagnon » obligatoire, lisse, terne, et qui ne s’éclaire que dans la perversion. Mais il est privé de la flèche du temps. Jamais il ne remet en doute la chronologie inversée des événements (comment d’ailleurs le pourrait-il ?). Au fond, l’homme n’est-il pas toujours un idiot de ce qu’il lui manque toujours une donnée ? Si nous voulons témoigner d’un minimum d’empathie envers le narrateur déboussolé de cette histoire, et par là même transformer en expérience marquante la lecture de ce roman, nous devons le lire en abandonnant – un peu ? beaucoup ? – nos certitudes sur la nature du temps. Epreuve d’humilité donc : il nous manque à tous une donnée.

Le tour de force de Martin Amis est double. Il démontre la proximité ambiguë de la création et de la destruction, mais il le fait en provoquant chez nous un étrange sentiment d’aliénation. Je me suis parfois réveillé la nuit en ayant l’impression que le temps faisait du surplace et qu’il allait soudain repartir à l’envers. Warning : si le lecteur se donne la peine d’entrer dans ce roman, il n’y aura pas d’échappatoire possible. Ce roman s’insinue dans le mécanisme même de la pensée. Manipulation que l’on traverse, hébété, comme le narrateur du livre.

(Autre fatalité littéraire : ce livre, un des meilleurs de Martin Amis, est aujourd’hui introuvable. Petite prière aux dieux éditeurs pour qu’ils le fassent reparaître ! Pour le coup, une petite inversion du temps serait bien utile…)

Commentaires
C
Je garde de cette lecture, faite il y a quelques années, une phrase qui disait, je crois, que les yeux étaient, de l’homme, ce qui ne pouvait pas mentir car c’était la seule partie du corps non recouverte de peau. <br /> Je me souviens aussi de cette image fulgurante et perturbante du "bébé-bombe". De la mort aussi comme une nécessité pour donner du sens à une existence vouée à un retour au néant.<br /> Merci cher David Gray pour l'analyse éclairante de ce texte.
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